Le P!nk Bloc s’est entretenu avec un jeune trans interviewé pour l’émission Trans Express.

Suite à notre premier article de réponse au reportage d’Enquête «TransExpress», un jeune trans nous a contacté-e-s pour nous partager son expérience d’avoir été interviewé par l’équipe d’Enquête. Le P!nk Bloc s’est entretenu avec lui pour mieux comprendre le processus qui a mené à la production d’une telle émission. Ce qu’il nous a révélé est d’autant plus choquant et révèle clairement la transphobie institutionnelle dont Radio-Canada et Enquête ont fait preuve lors de cette émission.

Ce jeune de 18 ans a commencé sa transition hormonale à 16 et entrait donc dans le cadre du sujet d’intérêt de l’émission. Il a été contacté par la nièce de la journaliste Pasquale Turbide pour participer à ce qu’on lui présentait comme un reportage sur la prise d’hormone chez les jeunes trans.

L’angle du reportage qu’on lui a décrit était d’essayer de présenter de manière neutre tous les points de vue autour du sujet. Cela se révèlera être très loin de son expérience.

Malgré un début d’entrevue positif, le jeune se retrouve rapidement inconfortable dans un contexte de discussion marqué de transphobie. Régulièrement mégenré par Pasquale, il a de plus en plus l’impression que le projet ne représente pas quelques choses de positif pour la communauté. La journaliste aurait posé des questions très dirigées, cherchant à framer son expérience dans une lumière négative. Il nous partage un exemple où la journaliste se serait montrée choquée qu’il ait un emploi, disant quelque chose dans les airs de «wow t’es une personne trans qui travaille!» La journaliste exprimait des préjugés négatifs très forts sur les personnes trans. Elle a aussi été surprise qu’il ait attendu un an avant d’avoir accès à des hormones, une réalité qui est pourtant la norme dans la communauté. C’est une information qu’elle ou son équipe de recherche auraient facilement pu apprendre en faisant des recherches extrêmement simples. Il nous rapporte aussi avoir eu l’impression que l’émission essayait de trouver un moyen de lier son expérience de la transition médicale à des traumas ou maladies mentales, cherchant à établir des liens avec des troubles alimentaires, de personnalité ou des expériences de viols.

Ces différents éléments témoignent que Pasquale Turbide abordait son reportage en cultivant déjà des idées préconçues, mal informées, extrêmement transphobes et dangereuses pour notre communauté. Cela ne nous surprend pas de la part de quelqu’un qui considère Lisa Littman comme une source crédible. Sa théorie du Rapid-onset gender dysphoria controversy était mise de l’avant dans le reportage alors qu’elle est largement discréditée par le milieu de la santé trans, de la psychologie et de la pédiatrie (ce que même une recherche très brève aurait révélé à la journaliste). Face aux pseudo-expert-es transphobes et leurs transmédicalistes de service, le reportage ne donne la parole à presque aucun-e vrai-e expert-e œuvrant avec des jeunes trans. Pasquale préfère aller à New-York pour trouver des figures «d’experts» prêtes à soutenir son point de vue, peut-être parce que leur nombre est si petit qu’elle est obligée de voyager à l’international pour en trouver.

Face à tout cela, le jeune aurait témoigné à la fin de l’entrevue être mal à l’aise de participer au reportage qu’il considérait nocif et témoignant d’un angle douteux. La journaliste lui aurait mis de la pression à maintenir sa participation, sans quoi le reportage ne présenterait pas de point de vue positif sur la transition hormonale. D’autres témoignages circulant sur internet, dont ceux rapportés par la page instagram @queermediumsaignant décrivent un phénomène similaire, où les jeunes trans interviewé-es refusent finalement de participer au projet face à la transphobie présente en entrevue. Après quoi, on essaie de leur mettre de la pression à rester dans le reportage, sans quoi celui-ci présenterait un point de vue uniquement négatif. Pasquale Turbide fait donc porter à des jeunes trans le poids de sa transphobie, de ses biais et de son incompétence journalistique (son manque de recherche, de professionnalisme et d’objectivité).

À aucun moment le jeune à qui nous avons parlé n’a eu l’impression que l’émission essayait de présenter des faits ou de rechercher la vérité. Il témoigne d’une journaliste qui semblait exclusivement intéressée à trouver des éléments appuyant le propos qu’elle cherchait à mettre de l’avant dans l’émission. Un propos qui se révèe proche de celui de l’extrême-droite, en opposition au consensus scientifique et qui pousse clairement pour la mise en place de projets de loi transphobes comme ceux aux États-Unis ou en Alberta. Des lois comme celles qui ont été passées en Oklahoma ou au Royaume-Uni dans les contextes de montée de la transphobie, qui ont couté les vies de Brianna Ghey et Nex Benedict.

Il témoigne aussi être parti de l’entrevue en s’imaginant que l’émission ne sortirait jamais, ne croyant pas que Radio-Canada laisserait du journalisme aussi mauvais être diffusé sur sa chaine. Pourtant, Radio-Canada a non seulement donné le feu vert à l’émission, mais a aussi décidé de faire venir Pasquale à l’émission Tout le monde en parle, cherchant clairement à générer du buzz autour du reportage.

Que faire maintenant?
On ne devrait plus être surpris-es de l’étendue de la transphobie présente chez les politiciens et les grands médias. Cependant, ce genre d’émission continue de générer de la peur chez nous qui connaissons malheureusement trop bien l’impact terrible que de telles pièces de propagande peuvent engendrer.

Face à des discours transphobes en roue-libre et un pouvoir se rapprochant de plus en plus de l’extrême-droite, nous devons réagir en force. Le 31 mars, Nous ne serons pas sages organise une grande manifestation pour le jour de la revanche trans. Il faut que nous soyons nombreux-ses dans la rue ce jours-là à exprimer notre mécontentement. En dehors de ça, il faut que nous nous organisions, que nous crions à toutes les heures partout notre colère, notre mécontentement, notre souffrance et notre détermination. Si vous êtes comme nous enragé•es, faites le savoir à Radio-Canada et à la société en général.

À nos adelphes trans et aux allié-es qui pensaient que ça (la diffusion de discours si ouvertement transphobes à si grande échelle) ne se produirait pas ici, qu’on en était pas rendu-es là, on espère que cet événement réveille pour vous la nécessité et l’urgence de lutter, maintenant. De s’outiller, de maîtriser l’argumentaire et d’être prêt-es à empêcher de se répandre et à contrer ces discours transphobes partout ou on les croise. Mais aussi, de développer des réseaux de solidarité et de se soutenir les un-es les autres, incluant les membres d’autres groupes visés par la montée de l’extrême-droite.