Par : Louve Rose
À vous qui voyez vers où le vent souffle. À vous qui sentez dans vos cœurs, dans vos corps, dans vos os le poids de ce qui s’anime dans la crasse de leur monde. À vous qui vous indignez, vous qui vous enragez en silence ou en hurlant. À vous qui savez qu’il faut agir, qu’on doit sauver notre futur. À vous, je souhaite m’adresser ici.
Votre douleur est mienne. Votre rage est mienne. Votre peine est mienne. Lorsque qu’un tireur est rentré dans un club LGBT à Colorado Springs et a ouvert le feu sur la foule, faisant plusieurs morts, je me suis caché dans un grenier et j’ai pleuré à chaudes larmes. J’ai pleuré en voyant les photos des morts qui ressemblaient beaucoup trop à mes ami·es et mes amoureux·ses. J’ai pleuré en voyant que certain·es étaient mort·es en fonçant sur le tireur pour le désarmer. J’ai pleuré parce que depuis plusieurs années, je trace la trajectoire de la montée du mouvement anti-trans. Que depuis plusieurs années, mes évaluations catastrophistes se montrent bien fondées et que la trajectoire qu’ils tracent est terrifiante.
Cependant, j’espère aussi que mon espoir est le vôtre. J’ai vu dans la dernière année et demie toute une génération de personnes queer et trans développer en accéléré une conscience politique. Je vois des jeunes parfois d’à peine 15-16 ans organiser les gens autour d’elleux pour qu’iels se mobilisent et agissent sur leur milieu. Je vois des coalitions de plus en plus larges se former et bien qu’elles ne descendent pas les foules dans la rue, elles marquent un engagement de groupes alliés sur ce sujet comme on en a rarement vu. Je vois aussi le discours changer. La politique queer mature, fait de l’analyse de fond, se libère de certains débats internes stériles, s’oriente vers les grands enjeux de société.
Dans l’appel de « Nous ne serons pas sages », je vois une invitation à quelque chose de plus grand. Dans cette invitation à l’action se trace l’esquisse de quelques chose de puissant. Nous sommes quelques centaines tout au plus à se mobiliser réellement contre la vague transphobe, mais il y a certainement des milliers d’autres qui angoissent. Des milliers qui, sur cet enjeu ou un autre, se sentent impuissant·es et désemparé·es. Qu’iels soient comme nous, trans et queer ou non, leur douleur ressemble à la nôtre. Et si leur mal-être ressemble au nôtre, alors, iels sont comme nous capable d’agir et de se mettre en marche. Nous devons tous simplement trouver un moyen de les rejoindre.
Puisque les puissants, médias, politiciens, bourgeois et autres raclures se dressent contre nous dans le camp de la haine, alors c’est toustes les impuissant·es qui doivent devenir des Pas Sages. Il nous faut agiter dans l’esprit de toustes celleux qui se retrouvent le cœur brisé face aux nouvelles des jeunes assassiné·es, l’idée qu’iels ne sont pas impuissants·es. Nous avons toustes la capacité d’agir. Nous pouvons toustes prendre l’initiative de faire quelque chose. Tous les moyens sont bons, du simple affichage à la destruction calculée, en passant par les ateliers et les moments de communautés. Nous devons injecter un esprit combatif partout.
C’est ça l’espoir que je vois dans cet appel. Si toute la jeunesse trans, si toute la communauté s’empare de cette invitation à agir, à créer, à bâtir, notre pouvoir a le potentiel de se multiplier sans
limites. Alors, je vous relance cette invitation. N’attendez pas. Faites quelques choses dès maintenant. C’est un véritable projet d’extermination qui se dresse devant nous, alors n’attendons pas. Y’a-t-il des comités à investir ou à créer ? Y’a-t-il des murs à couvrir d’affiches et de peinture ? Y’a-t-il des conférences à bloquer, des professeur·es à dénoncer, des concerts où annoncer notre colère, des
rassemblements où essayer de faire prendre conscience aux gens ? Y’a-t-il des cibles à attaquer, des médias à confronter ? Y’a-t-il l’émeute ? Y’a-t-il du soin à donner ? Y’a-t-il des techniques et des savoirs à partager ? Y’a-t-il un système à combattre à tout prix ? Si oui, vous savez déjà quoi faire.
Si vous avez des ami·es, alors vous avez un groupe avec qui agir, sinon trouvez les groupes, qu’ils soient larges et forts ou petits et en dormance. Construisez un imaginaire de lutte, rendez-vous compte que l’histoire est faite de gens comme vous qui décident d’agir. Emparez-vous du mouvement qui naît et faîtes le vivre là où vous êtes. Partout, écrivez sur les murs et dans les esprits que vous ne serez pas
sages!
NOUS NE SERONS PAS SAGES!
Vraiment, oublions la bienséance et les espoirs de plaire, ne soyons absolument pas sages, devenons ingouvernables, indomptables, inarrêtables.
J’écris cette lettre au matin du 31 mars, Journée trans de la vengeance. Une manifestation se tiendra qui rassemblera quelques centaines de personnes. J’espère qu’elle servira de début à quelque chose de plus grand. Maintenant pensons à la suite, demandons-nous comment faire vivre et grandir le mouvement.
Avec amour et rage, la Louve Rose