Second discours prononcé à la RadPride le 12 août 2023

Merci à toutes d’être ici présents. Nous allons bientôt prendre une minute de silence, mais d’abord j’ai quelques mots à vous dire.

J’aimerais qu’on prenne un temps pour se rappeler. Rappelons-nous d’abord la terre ou nous nous trouvons. La terre volée, la terre pillée, la terre détruite, la terre exploitée. La terre et ses habitantes, la terre et les milliers de cultures et de nations qui y ont vécu, qui ont développés des relations avec elle, et qui aujourd’hui encore subsistent et se battent. Des personnes autochtones qui ont et ont toujours eu des conceptions du genre complexes qui dépassent la simple vision binaire importée d’Europe. La vision qui veut un papa, une maman, et une pléthore d’enfants pour faire tourner la machine. Et maintenant que la machine roule, un papa, une maman, deux papas, deux mamans, peu importe pourvu qu’ils soient blancs ou se comportent comme des blancs, et surtout qu’ils gueulent pas trop fort. Cette europe, après avoir presque entièrement anéanti ses propres cultures, a amené l’Homme et la Femme chrétienne en Amérique, mes ancêtres, pour y commettre génocide physique, génocide culturel, construire des villes, ravager l’Amérique, déshumaniser les premières nations et perdre leur propre humanité. Reconnaissons le territoire sur lequel nous nous trouvons, et reconnaissons nos histoires respectives sur ce territoire. Cette reconnaissance nous amènera j’espère bien pas à une réconciliation avec l’ordre établi de la société coloniale, mais à une destruction pure et simple de ses symboles, de ses idéaux et de ses systèmes d’exploitation. Rappelons-nous ce que l’Europe et ses colons ont fait aux premières nations, rappelons nous ce qu’elle a fait aux personnes noires, rappelons-nous nos histoires esclavagistes, et rappelons-nous surtout la continuité bien réelle de ces histoires dans le présent. Parce que se battre pour nos vies en tant que personnes queer, c’est se battre pour les vies de toutes les personnes queer partout, pas seulement pour celles des queers qui ont eu accès aux ressources et maintenant à la normalité, et surtout en restant solidaires des luttes de toutes les autres opprimés.

Maintenant rappelons-nous de ce que les gouvernements successifs et la société civile nous a fait, à nous les queers, nous les tapettes, les fifis, les trans, les travestis, les gouines. Rappelons-nous les morts et rappelons-nous les souffrances. L’épidémie de sida, ses peurs, ses traumatismes et l’inaction totale des gouvernements. Les génocides culturels et les tentatives d’éradication des conceptions autochtones du genre avec la plus parfaite complicité des colons. La répression de la police contre les clubs et les saunas. Les attaques dans les rues. Les thérapies de conversion qui étaient encore légale au soi-disant Canada l’année passée. Les femmes trans qu’on jette en prison pour hommes. Les proprios qui nous refusent leurs logements. La haine toujours grandissante de l’extrême droite et les attentats contre nos communautés. Les familles qui nous ont reniées et qui nous ont jetées à la poubelle. Les amis hétéros qui nous ont trahis, qui nous ont soutenu que tant que ça ne leur coutait rien, que ça ne les mettait pas en jeu. La honte et la culpabilité d’être nous, de n’être rien d’autre que qui nous sommes, dans nos corps, qui aimons simplement d’autres corps qui ne rentrent pas dans ce moule. Rappelons nous la souffrance, l’agonie si totale que nous avons pu vivre, que les personnes comme nous ont pu vivre et vivent encore ici et ailleurs, l’agonie de ne pas pouvoir être soi, et parfois l’absence complète de portes de sortie qui nous pousse à diriger cette violence contre nous mêmes, parfois jusqu’à la mort. 

Et même lorsqu’on s’accepte, rappelons nous nos erreurs, rappelons nous nos blessures, rappelons nous que ce qu’ils nous ont fait subir et que nous avons internalisé nous coute. Rappelons nous ces blessures que nous continuons trop souvent de diriger contre nos proches, contre nos communautés, contre nos allié.es. Mais il y a d’autres chemins que la souffrance et la mort. On a nos deuils, on a nos peines, on a nos traumas, mais on a aussi la rage d’un monde meilleur qui brule en nous.

Alors, rappelons-nous toustes celles qui nous inspirent, ceux qui ont lutté, celles qui sont mortes pour nous, rappelons-nous Silvia Rivera, Marsha P Johnson et Stonewall, rappelons-nous les émeutes du Sex Garage, rappelons-nous de Barbara May Cameron et des luttes queers autochtones, rappelons-nous d’Act Up, poches de sang et condoms géants inclus, rappelons-nous de Audre Lorde et de l’importance de l’amour, rappelons-nous du FHAR, rappelons-nous celles et ceux qui se sont battu contre un tireur et l’ont désarmé à Colorado Spring, rappelons-nous les mères queers qui nous ont appris nos histoires, rappelons-nous nos frères et nos sœurs tapettes, trans et gouines qui ont lutté sans laisser de traces, sans laisser de nom, rappelons-nous les alliés qui se sont battues à nos côtés, rappelons-nous des caresses de nos amants passés qui nous donnent la force de vivre, rappelons-nous les soupers, les partys, les premiers maquillages, les premiers binders, et les amis qui nous ont soutenu dans nos coming out compliqués. Et rappelons-nous du sens du mot pride, rappelons-nous ce que c’est que d’être fières de ces parties de nous qui ont servi à nous déshumaniser, retrouvons nos histoire, retrouvons notre pouvoir.

Nous avons donc des chandelles, pour nous recueillir auprès de leurs flammes. Que ces flammes puissent allumer des feux plus grands que nous, des feux pour éclairer nos mortes, pour réchauffer nos âmes, des feux de joie queer. Reprenons contrôle sur ces feux que le système allume, dirigeons les dans la bonne direction, vers les chars, les patrons, les riches, les usines, les partis, les proprios. Arrêtons de nous en prendre à nous-même. Nous vivons dans un monde qui nous a mis de côté, qui nous a attaqué, qui nous a enlevé nos voix et qui aujourd’hui veut nous faire croire qu’il peut les utiliser pour gagner en puissance, il a tort, il ne peut que récupérer cette partie détruite de nos âmes. Il ne peut pas conquérir nos coeurs. Nos coeurs nous appartiennent, ils sont à nous, à nos amours, à nos amantes, à nos amis, à nos familles choisie. Aucun système ne pourra jamais voler ce qui fait de nous des êtres uniques dans ce monde. Nous sommes plus résilientes, plus forts, plus douces, plus aimantes qu’un système qui nécessite l’exploitation permanente de la terre et de ses habitants dont il nie l’humanité, les queers et les trans, les personnes handicapées, noires, autochtones, racisées, les pauvres et les simplement bizarres qu’elle arrive pas à classer. Pour l’instant, nous sommes en vie, alors battons-nous pour que cette vie ait un sens, pour guérir les blessures de celles qui n’ont pas pu guérir. Vivons avec nos mortes, vivons aux côtés de celles et ceux qui ne sont plus là, vivons entièrement, jusqu’à la fin.

Nous allons maintenant prendre une minute de silence. À la fin de cette minute, je veux que tout le monde crie, crie leurs peines, crie leurs rages, crie leurs vies qui valent la peine d’être vécues.